Les sorties de romans de cape et d'épée sont rares, tout au plus y a-t-il un ou deux romans nouveaux par an appartenant au genre. Lorsque j'ai lu la quatrième de couverture d'En vers et contre tous, j'ai été tout de suite attiré : "Un superbe roman de cape et d'épée au XVII° siècle : cabales, duels, amour et poésie dans un style à la Cyrano de Bergerac"...

Les premières pages laissent augurer quelque chose de goûtu. Jacques de Bourges naît en 1590 sous le porche d'une cathédrale, tandis que son père, maître d'armes, se bat en duel au même endroit. Dix-huit ans plus tard, le bébé devenu jeune homme quitte le domicile familial pour Rouen, à l'aventure. On sent dès les premières pages l'hommage à Dumas, avec un jeune homme monté sur un âne ridicule, et l'arrivée à Rouen ressemble fort à celle de d'Artagnan à Paris. De même, les Pardaillan et Cyrano ne sont pas loin au début du livre, de l'épée du héros qui a son petit nom (Bérengère) aux duels en poésie...

Las, ces premières impressions sont trompeuses. Car si le début est alléchant, la suite est d'un ennui mortel. Plus de 90% du texte est formé de dialogues verbeux, d'une logorrhée insupportable plus de quelques pages. Il ne se passe en définitive pas grand chose dans ce roman, et pourtant, les personnages en discutent sans arrêt dans un style ampoulé, pompeux... Je me suis fait une réelle violence pour terminer les 400 pages de ce qui n'est en réalité que le premier tome d'une série ! Je m'attendais à des complots mêlant politique et gens d'épée, mais le héros n'approche jamais le pouvoir, il se terre au milieu d'une bande de brigands au sein de laquelle il veut écrire une pièce de théâtre ! De plus, au niveau de la narration, l'auteur a un réel souci car il fait attention uniquement à la forme (avec, certes, une certaine recherche de vocabulaire et de tournures de phrases), et délaisse totalement le fond (le récit); les dialogues doivent servir, dans un roman, à faire avancer l'action, or celle-ci ne décolle jamais. En outre, la trame narrative est vraiment lâche, on a plus l'impression d'une suite de scènes décousues que d'un véritable récit (des personnages arrivent et partent sans réelle incidence sur l'histoire). Le héros, de plus, n'est pas aimable; il est parfait, que ce soit avec les femmes qu'il séduit sans peine, ou les armes à la main : comme il défait toujours avec facilité ses adversaires (en commentant en plus ses actions sur un ton de vantardise !), le lecteur ne craint à aucun moment qu'il risque sa vie, et le héros ne présente donc aucun enjeu narratif. On sait qu'il va réussir, tout et parfaitement, ce qui ne présente absolument aucun intérêt...

Mais il y a bien plus grave selon moi. Le héros se targue d'être un bretteur poète, de composer des alexandrins et des pièces de théâtre... mais l'auteur n'en connaît pourtant pas les règles les plus élémentaires !
Ainsi, pour les alexandrins, les notions de césure, d'hémistiche ou de comptage des syllabes ne sont pas respectées, ce qui paraît inimaginable au XVII° siècle ! Croyant faire des alexandrins, l'auteur écrit par exemple (je prends au hasard) "Sa main étouffe la flamme dans la lampe du veilleur" (p. 108). Il n'y a pas 12 syllabes dans ce vers, mais 15 : "Sa/main/é/tou/ffe/la/flam/me/dans/la/lam/pe/du/veil/leur". Je ne cite qu'un seul exemple, mais cela se produit pour tous les vers du roman. N'importe quel lycéen est censé savoir qu'en poésie classique, le "e" se prononce devant une consonne, et s'élide devant une voyelle ou en fin de vers... Ayant l'habitude de lire beaucoup de poésie et de pièces de théâtre en vers, j'ai trouvé illisibles ceux de Manfred, car je ne pouvais leur donner un rythme en les lisant. Or, les vers du héros occupent une bonne partie du roman...
Pour le théâtre, c'est la même chose. Le héros ne fait que raconter l'intrigue de sa pièce (sur plusieurs chapitres tout de même), mais on voit bien que les règles les plus élémentaires en vigueur au XVII° siècle sont violées (unités de temps, de lieu et d'action).

Si l'on ajoute ça aux fautes et coquilles nombreuses dans le texte, ainsi qu'à quelques anachronismes (par exemple, le héros utilise l'adjectif "moyenâgeux", datant du XIX° siècle, ou encore dit "Coup de Jarnac, je tranche les tendons et Patatra, Monsieur de Nevers" alors que l'action du Bossu de Féval se situe un siècle après) on se demande vraiment si l'éditeur a fait son métier et a fait retravailler le texte à l'auteur... Personnellement, j'aurais au minimum fait remarquer les problèmes de métrique, qui sont quand même un élément à la base du concept du personnage principal ! N'est pas Rostand qui veut, et la comparaison avec Cyrano me laisse un peu dubitatif...

Je déconseille donc malheureusement la lecture de ce roman, et je ferai l'impasse sur sa suite, déjà annoncée...

1 sur 5

En vers et contre tous - Amour, théâtre et brigandage